mardi 9 octobre 2007

Lolita

"Lolita, mon péché, mon âme"

Lolita
Vladimir Nabokov
(traduction Maurice Couturier)
Gallimard, coll. Folio, 2001
501 p.


Inauguration de ce blog. J'ai envie de parler de ce roman peu ordinaire que je viens de lire. Bouquin qui m'a intriguée, lu en moins d'une semaine (j'avais le temps, faut dire). Jusqu'à la fin, je me suis demandé si j'aimais beaucoup ou si je détestais.
Rappel : c'est l'histoire de la relation ambiguë, perverse, anormale, et sexuelle, entre un homme de 37 ans et une pré-adolescente de 12 ans.

Je dois vous avouer qu'à certains passages, j'ai eu envie de laisser tomber ce livre, ou plus exactement de le jeter contre le mur en criant que "Ah mais non mais c'est pas possible ! Je ne lirai pas un mot de plus !"
Puis je me suis rappelée que le but de Nabokov était précisément de choquer (ce qu'il a pleinement réussi, donc), et j'ai continué.

Ce qu'il y a de fort avec Nabokov, c'est qu'il met le lecteur à son insu dans la position du voyeur, tout en lui offrant le moyen de se déculpabiliser. Position très malsaine. D'un côté, on se sent presque honteux de continuer à lire. Et de l'autre on ne peut que se distancier du personnage principal, et Nabokov nous y aide : d'abord en présentant son texte comme un document clinique intéressant à analyser ; en gros, les mémoires d'un malade mental. Et surtout en mettant en scène l'auto-condamnation continuelle du pédophile Humbert Humbert : même lui reconnaît qu'il a un problème, et qu'il est condamnable aussi bien moralement que légalement.

On remarque ensuite que, bien que le thème du livre soit aussi sulfureux et polémique, il n'y a absolument aucune scène sexuelle explicite. C'est souvent au détour d'un mot, d'une phrase, que l'on réalise qu'une scène d'amour vient d'avoir lieu, a lieu, aura lieu (ce qui n'en est pas moins dérangeant pour autant).
Le narrateur peut en revanche fantasmer pendant 3 pages, non pas sur les seins ou les fesses de Lolita, mais sur son poignet ou sa cheville, sa façon enfantine de marcher les pieds en dedans, ou une mèche de cheveux... Cela commence par une observation rêveuse de la fillette, qui se transforme toujours chez Humbert en description quasi érotique. Et entre ses phases de désir, le narrateur fait preuve d'une tendresse presque paternelle pour sa "nymphette", ce qui n'augmente pas qu'un peu la complexité du personnage...

Et qu'en pense Lolita ? Et bien, et ce n'est pas le moins dérangeant de toute l'histoire, Lolita s'en accommode plutôt bien. Aucune colère, aucun dégoût, aucun rejet. Et quand ça l'ennuie, elle trouve une technique : elle fait du troc. Elle "prête" son corps, mais elle exige quelque chose en retour. Si elle avait demandé de l'argent, ça aurait été glauque. Mais non, elle demande le droit de s'acheter des bonbons, des vêtements, une poupée, ou la permission de jouer dans la pièce de théâtre de l'école. Qu'un comportement si radicalement immoral et corrompu soit suivi de manière aussi candide, et pour des envies de petite fille, ce n'est plus glauque, c'est désarmant...
Humbert Humbert aura donc été selon elle "un bon papa"...

Et par-dessus tout ça, le style est époustouflant. C'est extrêmement bien écrit, et surtout bien traduit ! Je vous conseille en passant la nouvelle traduction de Maurice Couturier, beaucoup plus fidèle. Certains passages sont magnifiques, plein d'émotion, de sensibilité et d'intelligence. On réalise petit à petit que si Humbert Humbert n'avait pas une vie sexuelle monstrueuse, il serait un être très séduisant, drôle, raffiné et extrêmement cultivé. On sent d'ailleurs pendant tout le livre le thème de l'opposition récurrente (personnifiée ?) entre la vieille Europe raffinée et la jeune Amérique superficielle.

En bref, un roman à la fois profondément dérangeant et merveilleusement écrit. Qui ne laisse certainement pas indifférent...


"Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : Le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita."

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