Huis Clos
Jean-Paul Sartre
Théâtre des Abbesses
Mise en scène : Michel Raskine
Avec : Christian Drillaud, Cécile Bournay, Marief Guittier, Guillaume Bailliart

Avez-vous déjà essayé d'aller au théâtre un soir de coupe du monde de rugby ? Avec, disons euh... je ne sais pas moi, un match entre les Français et les All Blacks ? Hum ? non ? Et bien j'ai testé pour vous. Et figurez-vous que c'est assez surprenant.
Les cris que l'on entend de l'extérieur pendant la pièce, au fur et à mesure des essais réussis, perdus, métamorphosés, transformés (transformés en quoi, je vous le demande ?), au lieu de nous rappeler à la réalité du monde réel en nous faisant perdre le fil de la réalité théâtrale qui est en fait fiction, nous place dans un entre-deux irréel, ni fiction ni réalité, nous empêchant de rejoindre d'un côté la réalité de l'extérieur, et de l'autre, la fausse réalité du théâtre.
D'où : irréalité.
Vous voyez ce que je veux dire ?
Mais heureusement cela ne dure que le temps que la rumeur des cris s'évapore, et l'on peut alors se replonger dans la fiction théâtrale, qui est à ce moment-là, la vraie réalité.
Et comme je fais les choses bien, je suis allée dans ce théâtre situé en plein Montmartre, cerné par des bars équipés chacun de 3 écrans géants et dégorgeant leur clientèle sur les trottoirs et les voitures garées là. (Avis aux riverains : ne jamais garer sa voiture en face d'un bar diffusant la coupe du monde de rugby. Sauf si on veut offrir un lavage à base de bière à ladite voiture.) Mais je m'égare.
Huis Clos, donc, au Théâtre des Abbesses.
Deux cas de figures pour cette pièce que j’aime beaucoup : soit on l’a déjà lue/vue, et on sait dès le départ où l’on se trouve. Soit on ne l’a jamais ni lue ni vue, et l’on va mettre une bonne moitié de la pièce à comprendre (mais pas d'inquiétude pour votre santé intellectuelle, c'est pareil pour tout le monde).
Détail, me direz-vous.
Pas du tout, vous répondrai-je.
J’avais d’ailleurs à côté de moi une personne qui ne l’avait jamais vue, et je m’amusais des questions chuchotées : « Mais ils sont où ? Pourquoi il n’y a pas de décor ? C’est quoi ce bruit ? Et pourquoi ils ont chaud ? »
Je n’en dirai donc pas plus sur ce sujet. Lisez, et vous saurez.Sur cette mise en scène de l’œuvre, je reste d'ailleurs un peu déçue. Le jeu des trois personnages ne correspondait pas du tout avec l’idée que je m’en étais faite en lisant le texte.
Garcin s’énervait là où je l’aurais vu calme, et inversement. L’acteur a construit un personnage un peu trop effacé, un peu trop dépassé par ce qui lui arrive, alors qu’il devrait être le leader du trio : c’est le premier à entrer sur scène, c’est le dernier à parler, c’est lui qui donne les directives, qui essaye diverses solutions (se taire et rester chacun dans son coin etc.)
Inès était ensuite beaucoup trop vieille, trop maigre, trop androgyne : elle ne correspond pas du tout à l’image d’Inès, qui est pour moi une femme très féminine justement, jeune, d’une beauté dangereuse, manipulatrice, dominatrice, castratrice. Le côté homosexuel du personnage était beaucoup trop appuyé. Inès est homosexuelle certes, mais elle cherche avant tout à dominer Garcin en dominant Estelle : c’est l’homme sa véritable proie, c’est sur lui qu’elle cherche à asseoir sa supériorité.
Estelle, enfin, était beaucoup trop mijaurée, et trop drôle. Estelle ne doit pas être drôle. Elle est légère, mais elle est sombre : elle n’arrive pas à porter le poids de son crime, un des pires qui puissent exister. Elle le cache, le renie, alors que les deux autres avouent les leurs spontanément. Elle séduit, cherche à s’attacher à tout prix (à Inès, à Garcin), mais c’est par désespoir.
En réalité, j’aurais vu tout ça beaucoup plus sérieux, sombre, et tragique. Ça doit être mon côté « tragédie classique » qui ressort. Je trouve qu’il n’y a rien de plus beau et de plus profond qu’une tragédie où les hommes courent irrémédiablement à leur perte sans le voir ni le savoir.
Autre chose qui m'a gênée : les répliques étaient beaucoup trop enchaînées entre les acteurs. L'un répond à la seconde où l'autre finit de parler, et ça donne une impression de... théâtre justement. Dans la vraie vie, personne ne parle comme ça, parce qu'il faut écouter jusqu'à bout ce que l'autre dit, avant de pouvoir répondre (enfin certains ne le font pas, mais justement ils écoutent pas, donc je les compte pas). Tout ça donne une impression de "joué" et c'est un peu dommage...
Et puis détail très mystérieux : une statue du Christ mains liées et tête baissée qui reste en plein milieu de la scène du début à la fin. J'avoue que je ne vois pas d'explication à la chose...
Ou alors il faut donner dans le genre "le Christ n'abandonne jamais les pêcheurs, la rédemption est toujours possible etc." mais vu le contexte ça me semble un peu tiré par les cheveux.
Si quelqu'un a une interprétation plus logique...
Par contre le reste du décor était bien en adéquation avec l’esprit de la pièce : c’est-à-dire qu’il n’y en avait pas. On voyait le plateau entièrement, les rideaux des coulisses avaient été retirés, laissant visibles les cordes et les fils de la régie lumière, les chaises entassées sur le côté, et tout le reste.
Puis, au fur et à mesure, le plateau était de plus en plus encombré de bazar, d’objets de toutes sortes… Les acteurs étaient de plus en plus déshabillés, de plus en plus violents (scène de torture d'Estelle par les 2 autres, que j'aurais vue beaucoup plus psychologique que physique), de plus en plus essoufflés, rouges, transpirants.
Le crescendo de l'absurde a très bien été rendu de ce côté-là, jusqu'au "Continuons" final, qui traduit pour moi le sentiment d'impuissance par excellence.
Donc voilà. Bilan mitigé, certaines choses à retenir, d'autres non.
Et puis faut dire qu'en sortant on a plongé direct dans l'euphorie du bar d'à côté parce qu'on était à -15 minutes de la fin du match..., et qu'on a ensuite enchaîné sur la Nuit Blanche.
Somme toute, Huis Clos n'a pas été le moment le plus fort de cette soirée bien remplie...
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