samedi 12 janvier 2008

Le Silence de la mer

"La lumière dépend des objets qu'elle éclaire"

Le Silence de la mer
Vercors
Editions de Minuit, 1944


Dans la maison de MonPapiEtMaMamie, il y a une bibliothèque magique. Chaque fois que je vais chez eux, je vais fouiner là-dedans, et chaque fois je découvre des livres que je n'avais jamais vus avant.
La dernière fois, c'était toute une série de livres édités par les Editions de Minuit au moment de leur création pendant la deuxième guerre mondiale, création par des résistants et pour éditer des textes de résistants. Il y avait Vercors bien sûr, mais aussi plein d'autres écrivains qui avaient, chacun, pris pour pseudonyme le nom d'une région de France. Pour se protéger d'abord, mais aussi pour montrer que la France résistait.

J'ai donc lu Le Silence de la mer de Vercors dans une édition datant de 1944, toute poussiéreuse, qui sentait le vieux papier, les pages non massicotées, et un peu toutes mal reliées, j'étais toute émue...

C'est le récit d'un homme et de sa nièce qui sont obligés de loger un officier nazi chez eux. Ne pouvant refuser, ils optent pour la résistance passive et décident de ne pas lui parler ni le regarder. De faire comme s'il n'existait pas. Mais l'officier, lui, parle. Il raconte petit à petit, sa vie en Allemagne, sa façon de voir la guerre... Il pense tout haut, explique ses théories sur la littérature française, sur le peuple français.
Peu à peu, le regard du narrateur et de sa nièce change...

Qu'un texte comme celui-là ait pu être écrit et publié en pleine guerre, je trouve ça très ambigu. Je ne pense pas qu'on puisse voir le personnage de l'officier comme un homme bon, naïf et trompé (comme j'ai déjà entendu dire). Enfin, pas uniquement. Ce n'est pas parce qu'on n'est pas brutal que l'on n'est pas dangereux. Cette ambiguité, on la retrouve dans les paroles de l'officier nazi, parfois rassurantes, parfois sourdement (presque inconsciemment) inquiétantes par l'espèce de folie qui en ressort.
Pas facile de démêler les sentiments que le narrateur (et l'auteur ?) nourrissent envers l'Allemagne, envers la guerre, envers cet Allemand-là.

C'est un texte qui se lit très vite, construit comme en crescendo. En tournant la dernière page, j'avais la chair de poule et les larmes aux yeux.

(Assez bon film, qui fait un mix entre Le Silence de la mer 
et Ce Jour-là, une autre nouvelle de Vercors)

jeudi 10 janvier 2008

Simone de Beauvoir

Aujourd'hui, Simone de Beauvoir aurait eu 100 ans.

Je viens de regarder toutes les émissions de ce soir qui lui étaient consacrées, et, je ne sais pas... j'avais envie de dire quelque chose, d'écrire quelque chose, d'exprimer mon admiration.
Simone de Beauvoir, c'est l'auteur qui m'a le plus touchée, le plus bouleversée.
Profondément et durablement.
En lisant ses mémoires, elle m'a fait découvrir ce que je ressentais, ce que je pensais, sans le savoir.

En regardant ce soir, le cinéaste Lanzmann, son compagnon pendant 8 ans, décrire avec frénésie et tumulte comment se passaient les voyages avec elle ("il fallait tout voir !") Le voir s'enthousiasmer : "C'était..." et puis laisser retomber ses mains... baisser la tête... et dire tout bas "... formidable",
je mesure que je n'arriverai jamais à mesurer.
Ce qu'elle a apporté à tant de gens. Et puis à moi.

D'une telle intelligence, d'une telle sensibilité... elle a réussi à me faire sentir la douleur de vieillir, à moi qui ne suis pas encore adulte.

Les dernières pages de La Force des Choses sont parmi les plus belles et les plus émouvantes que j'aie jamais lues.

Alors voilà. Hommage.
Un tout petit peu ridicule aux yeux de certains, sans doute, mais très sincère.

"Oui, le moment est arrivé de dire : jamais plus ! Ce n'est pas moi qui me détache de mes anciens bonheurs, ce sont eux qui se détachent de moi : les chemins de montagne se refusent à mes pieds. jamais plus je ne m'écroulerai, grisée de fatigue, dans l'odeur du foin ; jamais plus je ne glisserai solitaire sur la neige des matins. Jamais plus un homme. Maintenant, autant que mon corps mon imagination en a pris son parti. Malgré tout, c'est étrange de n'être plus un corps ; il y a des moments où cette bizarrerie, par son caractère définitif, me glace le sang. Ce qui me navre, bien plus que ces privations, c'est de ne plus rencontrer en moi de désirs neufs : ils se flétrissent avant de naître dans ce temps raréfié qui est désormais le mien. Jadis les jours glissaient sans hâte, j'allais plus vite qu'eux, mes projets m'emportaient. Maintenant, les heures trop courtes me mènent à bride abattue vers ma tombe. J'évite de penser : dans dix ans, dans un an. Les souvenirs s'exténuent, les mythes s'écaillent, les projets avortent dans l'oeuf : je suis là et les choses sont là. Si ce silence doit durer, qu'il semble long, mon bref avenir !
Et quelles menaces il enferme ! La seule chose à la fois neuve et importante qui puisse m'arriver, c'est le malheur. Ou je verrai Sartre mort, ou je mourrai avant lui. C'est affreux de ne pas être là pour consoler quelqu'un de la peine qu'on lui fait en le quittant ; c'est affreux qu'il vous abandonne et se taise. A moins de la plus improbable des chances, un de ces lots sera le mien. Parfois je souhaite en finir vite afin d'abréger cette angoisse.
Pourtant je déteste autant qu'autrefois m'anéantir. Je pense avec mélancolie à tous les livres lus, aux endroits visités, au savoir amassé et qui ne sera plus. Toute la musique, toute la peinture, tout la culture, tant de lieux : soudain plus rien. Ce n'est pas un miel, personne ne s'en nourrira. Au mieux, si on me lit, le lecteur pensera : elle en avait vu des choses ! Mais cet ensemble unique, mon expérience à moi, avec son ordre et ses hasards, nulle part cela ne ressuscitera."



samedi 5 janvier 2008

Chagrin d'école

"J'y arriverai jamais, m'sieur !"

Chagrin d'école
Daniel Pennac
Gallimard, coll. Blanche, 2007.
304 p.

Franchement, Pennac, il exagère. Quand on est capable d'écrire de bons livres, on est coupable d'en écrire de mauvais !

Bon j'entends déjà les cris de protestation : tu y vas trop fort, son livre n'est pas mauvais !
Certes, j'y vais fort. Mais si le même texte était sorti sous un nom inconnu, est-ce que, vraiment, il aurait eu ce succès ? Evidemment non. Des ventes honorables, peut-être, zéro prix Renaudot en tout cas.

Mais le pire dans tout ça, c'est que ça se voit gros comme le nez au milieu de la figure qu'il n'en est pas fier-fier de son livre, qu'il a eu du mal à l'écrire.
"Voilà qu'à la fin de cette deuxième partie, je m'offre une crise de doute. Doute quant à la nécessité de ce livre, doute quant à mes capacités à l'écrire."
puis plus loin : "Je lève les yeux. Mon regard erre sur le Vercors sud. Pas une maison à l'horizon etc..." et le voilà qui se met à décrire ce qu'il voit de sa fenêtre. Typique. Quand on ne sait pas quoi écrire, on décrit ce qu'il y a devant nous, et on écrit sur le fait qu'on écrit. Parfois ça donne de très jolies choses. Et parfois pas.
Puis, à la fin du chapitre : "arrête ton cirque, remets-toi au travail."
Oui, exactement ce que j'avais envie de lui dire... Sauf que mine de rien, ça lui fait 3 pages. Plus que combien ?

Cette façon de se mettre en scène en train d'écrire, ça avait déjà commencé de m'énerver dans Le Dictateur et le Hamac, mais là vraiment, c'est trop.

"Vous avez vu ? Moi aussi je bloque, et je regarde par la fenêtre au lieu de travailler."
Peut-être qu'il a voulu écrire un livre de cancre pour étayer un peu sa position de "cancre" ?

Et puis cette façon de faire ce dialogue avec lui-même, de s'auto-critiquer pour déjouer la critique qu'il sent venir, c'est fatigant.
"A te lire jusqu'à présent, tu m'avais tout l'air du prof irréprochable, dis donc ! Et que je te sauve tous les dysorthographiques de la création, et que je te remplis tout un chacun de littérature inoubliable..."
Oui, arrivée aux 2/3 du bouquin, c'est effectivement ce que je me disais. Et que tu le dises n'enlève rien au fait que c'est comme ça que tu te poses, cher Mr P.
Dédouanement constant au fil du livre : "ma métaphore vaut ce qu'elle vaut". Ben oui, elle vaut ce qu'elle vaut. Enfin elle n'est pas si mal, ta métaphore, mais soit tu l'assumes, soit tu en trouves une autre. On n'écrit pas un truc pour s'excuser 2 lignes plus loin.

Ca me rappelle mes dissertes faites à l'arrache à la fin desquelles j'écrivais : "Excusez-moi de vous imposer la lecture d'une copie aussi mauvaise que la nuit que j'ai passé dessus..." La prof me répondait gentiment "C'est mon métier..." mais elle me mettait quand même 5. Ce n'est pas parce qu'on se rend compte de la nullité de ce qu'on fait, que l'on est excusé.

p. 294 : "J'arrive enfin à mes dernières pages". Oui, mais ça Daniel, tu le penses peut-être, mais tu ne l'écris pas s'il te plait...

A part ça, quelques très bonne idées pédagogiques d'un professeur impliqué. Et quelques bons passages, notamment sur l'ignorance :  ne pas savoir pourquoi l'on sait, est une forme d'ignorance. (Même s'il est loin d'être le premier à l'avoir dit). Réflexion obligatoire pour tous ceux qui veulent enseigner.
Mais tout ça ne mérite pas un prix littéraire...

C'est d'autant plus dommage que Pennac est un écrivain hors pair, et qu'il faut sur-le-champ lâcher ce que vous êtes en train de faire (me lire donc, mais attendez que je finisse ma phrase quand même) pour aller lire toute la série des Malaussène, qui est génialissime !


J'ai toujours entendu dire qu'il m'avait fallu une année entière pour retenir la lettre a. La lettre a, en un an. Le désert de mon ignorance commençait au-delà de l'infranchissable b.
- Pas de panique, dans vingt-six ans il possédera parfaitement son alphabet.
Ainsi ironisait mon père pour sitraire ses propres craintes. Bien des années plus tard, comme je redoulais ma terminale à la poursuite d'un baccalauréat qui m'échappait obstinément, il aura cette formule :
- Ne t'inquiète pas, même pour le bac on finit par acquérir des automatismes...
Ou, en septembre 1968, ma licence de lettres enfin en poche :
- Il t'aura fallu une révolution pour la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l'agrégation ?

dimanche 16 décembre 2007

My Blueberry Nights

My Blueberry Nights
Réalisation : Wong Kar-Wai
Avec : Norah Jones, Jude Law, David Strathairn, Rachel Weisz, Natalie Portman

Après une désertion involontaire des salles de ciné, me voici revenue à des pratiques plus normales. Et pour faire les choses en grand, j'ai choisi le nouveau film de Wong Kar Wai, et je ne me suis pas trompée : c'est magnifique.

Pour que les choses soient bien claires dès le début : Wong Kar Wai est mon idole, un des plus grands cinéastes contemporains à mon avis, et 2046 un des plus beaux films au monde. (Comment ça j'exagère ? Mais point du tout. Courez tous voir 2046 et le premier qui me dit qu'il aime pas, je lui casse la g***).

Bon, plus sérieusement. On a ici encore des personnages en quête d'eux-mêmes, en quête de leur bonheur, filmés avec une poésie incroyable.
Et poésie ça ne veut pas dire gnan gnan, hein, surtout pas. Jamais de gnan gnan chez WKW. Les scènes entre Sue Lynne (Rachel Weisz, magistrale et poignante, comme d'habitude) et son mari peuvent le prouver.

Toujours et encore, ce jeu sur les lumières dans le noir : néons, reflets, feux, phares... espoir ? qui donne cette ambiance si caractéristique autour de personnages perdus dans leur ville et dans leur vie. Solitude dans la multitude.

Mention spéciale pour Natalie Portman, surprenante en jeune poker-addict tortueuse (torturée ?) incapable de rester en place.

Et puis WKW réinvente le baiser de cinéma, et ça ce n'est pas rien. Il le rend... gourmand :)

C'est dur de parler d'un beau film, j'ai presque peur de lui enlever sa magie en le décortiquant. Alors je vais m'arrêter là. A vous de faire le reste et d'aller vite le voir !


jeudi 6 décembre 2007

Le Clair et l'Obscur

"Toute pensée contre-pense"

Le Clair et l'Obscur
Jean Paulhan
Gallimard, coll. Les Cahiers de la nrf, 1999
144 p.

Voilà un livre qui m'a fait une jolie surprise : je l'ai pris au pif à la bibliothèque en croyant que c'était de la critique littéraire (vu le titre, qui pour moi représente parfaitement ce qu'est la critique), et en fait pas du tout !
C'est un petit livre très personnel, qui part de deux expériences banales à première vue, que Jean Paulhan a faites dans des circonstances très différentes. Puis qui va loin, très loin.

Pendant la guerre de 14-18, alors qu'il était dans une ruine, au milieu de tirs croisés, impression d'irréalité : les bombes et les tirs deviennent feu d'artifice. Il a cette sensation que tout a été organisé pour lui, que le reste du monde est factice. C'est alors qu'il casse une vitre avec son pied, et que ce geste le fait revenir à la réalité.

Longtemps après, alors qu'il ne veut pas réveiller sa femme qui dort, il allume très brièvement la lumière pour avoir une vision des obstacles, et traverse la chambre dans le noir en essayant de ne pas se cogner. Manoeuvre qui, en le rendant extra-conscient, lui fait redécouvrir tous ces objets trop familiers qu'il ne "voyait" plus depuis longtemps.

Le noir fait donc voir, tout comme l'on sait que trop de luminosité aveugle. Entre le clair et l'obscur, Paulhan opère un va-et-vient permanent. Presque comme un jeu, l'un explique l'autre, l'autre aboutit à l'un.

Paulhan va au fond des choses, tout au fond. Il va même derrière les choses, puis il les retourne, en fait le tour, et revient devant. Ça en serait presque trop, si ce n'était pas d'une telle intelligence. Trop de mises en perspectives peuvent donner le tournis. Mais ici, cela provoque le "décollement" de la réalité. On s'en décolle, ou plutôt, on la décolle de nous.
Car comment penser la réalité alors que l'on en fait partie ? Toute pensée sur la conscience vient précisément de notre conscience : comment penser une chose alors que l'on est nous-même cette chose ?

Cette manière de partir d'un événement tout simple, puis d'en extraire pas à pas toute la substance, toute la signification, la manière de prendre cet événement comme exemple de l'existence du monde extérieur puis comme base d'une réflexion sur la conscience, c'est réellement impressionnant.
A chaque chapitre, on passe à une étape supérieure. A la fin d'un chapitre je me souviens avoir lu "Il y a plus." et avoir pensé "Noooon c'est pas possible, il ne peut pas y avoir plus !"

Et bien si. Et Paulhan finit par revenir sur ce qu'il a écrit au début ("page tant, j'ai écrit ceci"), mise en abyme qui aboutit à la problématique de l'irréductible écart entre mots et expérience, et à l'éternelle question : comment raconter l'"iracontable" ?