jeudi 6 décembre 2007

Le Clair et l'Obscur

"Toute pensée contre-pense"

Le Clair et l'Obscur
Jean Paulhan
Gallimard, coll. Les Cahiers de la nrf, 1999
144 p.

Voilà un livre qui m'a fait une jolie surprise : je l'ai pris au pif à la bibliothèque en croyant que c'était de la critique littéraire (vu le titre, qui pour moi représente parfaitement ce qu'est la critique), et en fait pas du tout !
C'est un petit livre très personnel, qui part de deux expériences banales à première vue, que Jean Paulhan a faites dans des circonstances très différentes. Puis qui va loin, très loin.

Pendant la guerre de 14-18, alors qu'il était dans une ruine, au milieu de tirs croisés, impression d'irréalité : les bombes et les tirs deviennent feu d'artifice. Il a cette sensation que tout a été organisé pour lui, que le reste du monde est factice. C'est alors qu'il casse une vitre avec son pied, et que ce geste le fait revenir à la réalité.

Longtemps après, alors qu'il ne veut pas réveiller sa femme qui dort, il allume très brièvement la lumière pour avoir une vision des obstacles, et traverse la chambre dans le noir en essayant de ne pas se cogner. Manoeuvre qui, en le rendant extra-conscient, lui fait redécouvrir tous ces objets trop familiers qu'il ne "voyait" plus depuis longtemps.

Le noir fait donc voir, tout comme l'on sait que trop de luminosité aveugle. Entre le clair et l'obscur, Paulhan opère un va-et-vient permanent. Presque comme un jeu, l'un explique l'autre, l'autre aboutit à l'un.

Paulhan va au fond des choses, tout au fond. Il va même derrière les choses, puis il les retourne, en fait le tour, et revient devant. Ça en serait presque trop, si ce n'était pas d'une telle intelligence. Trop de mises en perspectives peuvent donner le tournis. Mais ici, cela provoque le "décollement" de la réalité. On s'en décolle, ou plutôt, on la décolle de nous.
Car comment penser la réalité alors que l'on en fait partie ? Toute pensée sur la conscience vient précisément de notre conscience : comment penser une chose alors que l'on est nous-même cette chose ?

Cette manière de partir d'un événement tout simple, puis d'en extraire pas à pas toute la substance, toute la signification, la manière de prendre cet événement comme exemple de l'existence du monde extérieur puis comme base d'une réflexion sur la conscience, c'est réellement impressionnant.
A chaque chapitre, on passe à une étape supérieure. A la fin d'un chapitre je me souviens avoir lu "Il y a plus." et avoir pensé "Noooon c'est pas possible, il ne peut pas y avoir plus !"

Et bien si. Et Paulhan finit par revenir sur ce qu'il a écrit au début ("page tant, j'ai écrit ceci"), mise en abyme qui aboutit à la problématique de l'irréductible écart entre mots et expérience, et à l'éternelle question : comment raconter l'"iracontable" ?


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