lundi 15 octobre 2007

L'Elégance du Hérisson


"L'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme"

L'Elégance du Hérisson
Muriel Barbery
Gallimard, coll. Blanche, 2006
359 p.

Je viens de finir ça, et bon, honnêtement.... c'est mignon mais ça casse pas des briques. On me l'avait mis dans les mains en me disant "Lis ça, c'est gééééniââââl !", et je sais que tout le monde en parle en ce moment, mais je comprends pas trop. Ou plutôt si, je comprends. Pour moi c'est un mix entre Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder, et Ensemble c'est tout d'Anna Gavalda, avec un soupçon d'Amélie Poulain pour relever le tout. Une bonne recette, quoi.

Alors d'un côté, il y a des passages joliment écrits, émouvants même parfois.
Et de l'autre, il y a quand même pas mal de petits trucs agaçants. On a l'impression que l'auteur s'est dit "allez hop, on va faire comme ça, ça marche bien ça."

Tout d'abord, il y a le thème des gens super intelligents à l'intérieur mais dont personne ne s'aperçoit à l'extérieur. Ça, en général, ça marche. Peut-être parce que le lecteur croit être lui-même un super-intelligent méconnu de tous ? Du coup ça facilite l'identification au personnage ? (simple hypothèse personnelle, peut-être que je suis la seule à croire ça, après tout... hihi)
Sauf que là, pardon mais c'est un tout petit peu trop...
Il y a la petite fille de 12 ans, qui fait très attention de ne pas montrer son intelligence, et se rabaisse à n'être "que" la première de la classe sans dépasser la seconde de trop loin... Motif invoqué : pour qu'on la laisse tranquille. A la limite, soit.
Mais il y a surtout la concierge moche et idiote qui se révèle en fait avoir le niveau intellectuel d'une agrégée de philo, et qui fait tout pour que personne ne s'en aperçoive. C'est déjà beaucoup moins crédible, et puis surtout : pourquoi ? Pourquoi se tracasser à laisser résonner sa télé toute la journée pour faire croire qu'on végète devant alors qu'en réalité, on dévore La Phénoménologie de l'Esprit ? Pourquoi se forcer à faire des phrases grammaticalement incorrectes alors qu'on est extra-sensible à la linguistique ?
Ça, ça a été mon premier agacement.

Deuxième agacement, dans le même style : la vision du clivage pauvres/riches. Les pauvres sont extrêmement sensibles à l'intérieur d'eux-mêmes à toutes les petites choses de la vie ; les riches sont engoncés dans leurs (bonnes ?) manières et sont tout secs à l'intérieur. Avec évidemment quelques enfants-exceptions pour faire bonne figure (et pour ne pas faire totalement "les riches, tous des cons") : Paloma, Olympe ou Jean.
D'un côté, Manuela la femme de ménage portugaise est une "aristocrate du coeur", de l'autre, le riche et célèbre critique gastronomique de l'immeuble est un "despote brutal, assoiffé de gloire et d'honneurs". Vous ne trouvez pas ça un petit peu trop.... tout-noir-tout-blanc ?
En cherchant à éviter le politiquement correct, Barbery y retombe en plein dedans.

Autre agacement, mais beaucoup plus personnel, celui-là : je n'aime pas du tout sa façon d'écrire les dialogues ! En gros, très souvent, ça fait : tiret, réplique du personnage, puis on repasse au mode récit avant d'avoir le 2e tiret et la réponse de l'autre personnage. Je trouve que ça casse totalement le rythme, et bien souvent, je ne peux empêcher mes yeux de sauter tous seuls d'un tiret à un autre, histoire d'avoir le dialogue sans coupure, ce qui m'oblige ensuite à remonter mes yeux en haut à gauche de la page pour tout relire, avec les commentaires d'entre-dialogue, cette fois...
(Et je ne parle même pas de ma mère qui, elle, a lu le livre en deux fois : d'abord l'histoire "Paloma" puis l'histoire "Renée" parce que ça l'énervait d'être coupée en plein élan à chaque chapitre. C'est peut-être un truc de famille, alors...)

Je reconnais qu'il y a une certaine joliesse d'écriture, et certains passages aboutissent de manière efficace à des formulations lapidaires et originales que Muriel Barbery semble affectionner. Mais là encore, j'ai l'impression de retrouver le même schéma à chaque fois. Une réflexion plus ou moins philosophique est exposée dans un chapitre qui finit par une phrase-choc.
"L'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme.", "L'Art, c'est l'émotion sans le désir.", "C'est peut-être ça, être vivant: traquer des instants qui meurent.", "Le Futur, ça sert à construire le présent.", "L'Eternité, cet invisible que nous regardons." (pour n'en citer que quelques-unes, mais vous verrez il y en a plein).
C'est joli, me direz-vous ! Oui, c'est joli, et c'est même très poétique. Simplement, selon une expression fétiche de mon père : ça vire au procédé. L'écriture devient mécanique.

Et puis il y a autre chose aussi. Muriel Barbery a choisi de croiser deux personnages, et donc deux récits. Jusque-là tout va bien. Il y a donc alternance des chapitres (ou à peu près), avec changement typographique qui va avec, ce qui est d'ailleurs une bonne idée. Tout va bien aussi. Mais là où la chose se corse, c'est qu'en suivant ce procédé de coupure/reprise, il fallait trouver un moyen de garder le suspens entre la fin d'un chapitre "Renée" par exemple, et le début du chapitre "Renée" suivant (c'est-à-dire, 2 ou 3 chapitres plus loin... vous suivez ?).
Et alors là, une fois que le moyen a été trouvé, il n'a plus été lâché. Exemples de plusieurs débuts/fins de chapitres, pour que vous compreniez : "Chabrot sonne à ma loge" (p.82), "on frappe doucement à la porte de ma loge" (p.90), "quelqu'un sonne à la loge." (p.116), "on sonne à ma loge." (p.173), "Puis, vers dix heures, on sonne à ma porte." (p.185), "... et on frappe à la porte." (p.201), "On frappe deux petits coups brefs à la porte." (p.288), "... et je ferme ma porte." (p.85) (ah, variante audacieuse !)

Vous voyez ce que je veux dire ? Je comprends que ce soit une transition pratique, mais quand même !
Et tant qu'on est dans les énumérations, je vous donne une autre phrase qui m'énerve particulièrement, que j'ai retrouvée souvent, et qui est pour moi un artifice fallacieux de "créateur de suspens" : "C'est alors que la chose se produit." (p.79), "C'est alors que la catastrophe se produit." (p.230), "C'est alors que la chose advient." (p.238), "Et puis ça arrive." (p.344), "Et puis il s'est passé quelque chose." (p.355) etc...

Bon je vais m'arrêter là pour ce soir. Je tiens à souligner quand même que mises à part ces petites choses agaçantes, la lecture du Hérisson (c'est comme ça qu'il faut dire pour faire In... genre "t'as pas lu le Hérisson toi ?") est agréable. Ça se lit vite et ça se lit bien.
Mais étant donné tous ces gens qui ont A-DO-RE, je me devais d'étayer mon point de vue quelque peu moins enthousiaste...

Et puis j'en connais certains qui diront que c'est la déformation professionnelle des étudiants de Lettres qui ne peuvent plus lire un livre sans l'analyser et le décortiquer ! Et bien je crie haut et fort que "Faux et archi-faux !" Il y a beaucoup de livres que je lis sans même réfléchir à ce que je lis, et dans lesquels je me plonge toute entière sans l'ombre d'une distanciation critique !

Et heureusement !


"Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants.

Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comme est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai."

3 commentaires:

Anonyme a dit…

bon alors ma julie, je tiens a te dire que si, tu es atteinte du syndrome des étudiants de lettre. ce n'est pas parce que tu lis Ensemble c'est tout 3 fois de suite avec un plaisir goinffre que ça t'absouds de toute déformation professionelle.
petit clin d'oeil pour te dire que j'ai lu et que je t'ai bien retrouvée, que tu m'as donné envie de retrouver Pinon qui fabule comme d'habitude, et super envie d'aller voir le match de rugby...
je te ferai des critiques construites qund j'aurais reconstruit mon cerveau qui paresse.
bisous
pau

Anonyme a dit…

Métamorphosée en hérisson, Julie, tu piques!
j'attend que tu me prêtes ce livre ainsi je pourrais me faire ma propre idée.Pour autant ta critique me semble parfaitement honnête.Et puis, le syndrome de l'étudiant de lettre, c'est comme un chirurgien qui découpe un steack, il ne peut jamais se passer d'une arrière pensée!
C.

sooki a dit…

You are absolutely right about this book. It's a bit like The Emperor's New Clothes. When you look behind the words, you find a lot of hollows.
By the way, there are also inconsistencies, like when Renee says: "on se demande pourquoi l'universite s'obstine a enseigner les principes narratifs a coups de Propp..." and I ask myself - how in the world does she know the curriculum at the university...? So it is clear that the author herself wanted to say something to the world and used her caracters without noticing if they are really fit to say those things.