dimanche 16 décembre 2007

My Blueberry Nights

My Blueberry Nights
Réalisation : Wong Kar-Wai
Avec : Norah Jones, Jude Law, David Strathairn, Rachel Weisz, Natalie Portman

Après une désertion involontaire des salles de ciné, me voici revenue à des pratiques plus normales. Et pour faire les choses en grand, j'ai choisi le nouveau film de Wong Kar Wai, et je ne me suis pas trompée : c'est magnifique.

Pour que les choses soient bien claires dès le début : Wong Kar Wai est mon idole, un des plus grands cinéastes contemporains à mon avis, et 2046 un des plus beaux films au monde. (Comment ça j'exagère ? Mais point du tout. Courez tous voir 2046 et le premier qui me dit qu'il aime pas, je lui casse la g***).

Bon, plus sérieusement. On a ici encore des personnages en quête d'eux-mêmes, en quête de leur bonheur, filmés avec une poésie incroyable.
Et poésie ça ne veut pas dire gnan gnan, hein, surtout pas. Jamais de gnan gnan chez WKW. Les scènes entre Sue Lynne (Rachel Weisz, magistrale et poignante, comme d'habitude) et son mari peuvent le prouver.

Toujours et encore, ce jeu sur les lumières dans le noir : néons, reflets, feux, phares... espoir ? qui donne cette ambiance si caractéristique autour de personnages perdus dans leur ville et dans leur vie. Solitude dans la multitude.

Mention spéciale pour Natalie Portman, surprenante en jeune poker-addict tortueuse (torturée ?) incapable de rester en place.

Et puis WKW réinvente le baiser de cinéma, et ça ce n'est pas rien. Il le rend... gourmand :)

C'est dur de parler d'un beau film, j'ai presque peur de lui enlever sa magie en le décortiquant. Alors je vais m'arrêter là. A vous de faire le reste et d'aller vite le voir !


jeudi 6 décembre 2007

Le Clair et l'Obscur

"Toute pensée contre-pense"

Le Clair et l'Obscur
Jean Paulhan
Gallimard, coll. Les Cahiers de la nrf, 1999
144 p.

Voilà un livre qui m'a fait une jolie surprise : je l'ai pris au pif à la bibliothèque en croyant que c'était de la critique littéraire (vu le titre, qui pour moi représente parfaitement ce qu'est la critique), et en fait pas du tout !
C'est un petit livre très personnel, qui part de deux expériences banales à première vue, que Jean Paulhan a faites dans des circonstances très différentes. Puis qui va loin, très loin.

Pendant la guerre de 14-18, alors qu'il était dans une ruine, au milieu de tirs croisés, impression d'irréalité : les bombes et les tirs deviennent feu d'artifice. Il a cette sensation que tout a été organisé pour lui, que le reste du monde est factice. C'est alors qu'il casse une vitre avec son pied, et que ce geste le fait revenir à la réalité.

Longtemps après, alors qu'il ne veut pas réveiller sa femme qui dort, il allume très brièvement la lumière pour avoir une vision des obstacles, et traverse la chambre dans le noir en essayant de ne pas se cogner. Manoeuvre qui, en le rendant extra-conscient, lui fait redécouvrir tous ces objets trop familiers qu'il ne "voyait" plus depuis longtemps.

Le noir fait donc voir, tout comme l'on sait que trop de luminosité aveugle. Entre le clair et l'obscur, Paulhan opère un va-et-vient permanent. Presque comme un jeu, l'un explique l'autre, l'autre aboutit à l'un.

Paulhan va au fond des choses, tout au fond. Il va même derrière les choses, puis il les retourne, en fait le tour, et revient devant. Ça en serait presque trop, si ce n'était pas d'une telle intelligence. Trop de mises en perspectives peuvent donner le tournis. Mais ici, cela provoque le "décollement" de la réalité. On s'en décolle, ou plutôt, on la décolle de nous.
Car comment penser la réalité alors que l'on en fait partie ? Toute pensée sur la conscience vient précisément de notre conscience : comment penser une chose alors que l'on est nous-même cette chose ?

Cette manière de partir d'un événement tout simple, puis d'en extraire pas à pas toute la substance, toute la signification, la manière de prendre cet événement comme exemple de l'existence du monde extérieur puis comme base d'une réflexion sur la conscience, c'est réellement impressionnant.
A chaque chapitre, on passe à une étape supérieure. A la fin d'un chapitre je me souviens avoir lu "Il y a plus." et avoir pensé "Noooon c'est pas possible, il ne peut pas y avoir plus !"

Et bien si. Et Paulhan finit par revenir sur ce qu'il a écrit au début ("page tant, j'ai écrit ceci"), mise en abyme qui aboutit à la problématique de l'irréductible écart entre mots et expérience, et à l'éternelle question : comment raconter l'"iracontable" ?