dimanche 28 octobre 2007

Jane

Jane
Réalisation : Julian Jarrold
Avec : Anne Hathaway, James McAvoy, Jame Cromwell, Maggie Smith


Je suis allée voir ça tout à l'heure, ce qui n'était pas prévu du tout (hé ! vous avez remarqué ? les couleurs de l'affiche vont super bien avec mon blog... ça devait être un signe du destin alors). En passant devant le ciné, je me suis dit "tiens, j'ai rien à faire" et hop 3 minutes après, j'étais au chaud dans mon fauteuil de mini-salle de mini-cinéma. Je savais que c'était plus ou moins la biographie de Jane Austen, mais je n'avais absolument rien lu ni entendu dire sur ce film. (Je me sens toujours follement audacieuse quand je fais ça... et rigolez pas, on pimente sa vie comme on peut, hein).

Il faut croire que j'ai eu un bon feeling, parce que j'ai bien aimé.
Par contre, c'est calqué à mort sur Pride and Prejudice de Joe Wright (tiens, d'ailleurs, ils ont même copié l'affiche, je remarque en la mettant).
Le premier plan du film est presque identique : petit matin sur la campagne anglaise, vieux manoir plein de charme, basse-cour avec des poules qui se baladent... Jane/Elizabeth seule réveillée qui écrit/lit pendant que tout le monde dort...

Ceci dit, cette séquence d'ouverture est superbe... Très esthétique, très bien montée, très bien rythmée, toute en délicatesse, avec une pointe d'humour, elle nous plonge tout de suite dans l'atmosphère si caractéristique de Jane Austen.

Je pense d'ailleurs qu'ils se sont beaucoup (trop ?) inspirés de Pride and Prejudice pour faire sa biographie. On retrouve exactement les mêmes types de personnages : le père discret mais écouté, la mère obsédée par le mariage de ses filles, la grande soeur-meilleure amie, la petite soeur écervelée, puis évidemment le jeune homme ténébreux qui arrive de la ville et qu'elle commence par détester avant d'en tomber éperdument amoureuse. Ne vous inquiétez pas, je ne révèle rien, dès le premier cadrage sur lui dans les premières minutes du film, on a compris que c'est LUI et pas un autre. Tout l'intérêt est de savoir COMMENT tout ça se fait (et se défait).

Il y a aussi le personnage de la grande cheftaine du château d'à côté (Lady Catherine dans P. and P.), qui est joué par... McGonagall de Harry Potter ! Là, excusez-moi mais ça m'a perturbé pendant tout le film. Surtout que la mère était jouée par Mrs Weasley... ça faisait une confusion des genres pas aisée à surmonter.

Gros copiage également des scènes de bal, mais là, c'était (à mon humble avis) mieux fait chez Joe Wright. Difficile à filmer les scènes de bal...

Qu'est-ce que j'ai bien aimé ? Que tout le film soit à la limite du romantisme fleur-bleu sans jamais tomber dans la mièvrerie (et je vous préviens, c'est pas facile !) A chaque fois qu'on sent que les violons deviennent un peu trop appuyés, pouf ya un truc qui casse tout. Exemple : quand ils s'enfuient, dans le plus pur style "enlèvement de la belle par son preux chevalier", et qu'on voit le paysage défiler derrière la vitre de la calèche (avec reflet du sourire et brillance de la larme), bing, tout le monde se cogne : la calèche s'est embourbée, et les voilà tous à patauger dans la gadoue.

Le preux chevalier en question, il est d'ailleurs plutôt mignon et bourré de charme. Beaucoup plus, en tout cas, que "Mr Daaarcy" de l'autre film qui me semblait un peu mou du genou. L'acteur c'est le jeune médecin du Dernier Roi d'Ecosse de Kevin Mcdonald (qui joue ici aussi un Scottish, il doit y tenir à ses origines...)

Quant à Anne Hathaway, j'avais un a priori négatif sur elle (entre Princesse Diary ou je-sais-plus-trop-quoi chez Disney et Le Diable s'habille en Prada, j'ai pas bien vu toute l'étendue de son talent...) mais elle s'en sort pas trop mal.
Une critique néanmoins : les robes Empire ne lui vont pas du tout. Je sais bien que la ceinture sous la poitrine, c'est pas ce qu'on porte quand on veut éviter de ressembler à un sac à patates, mais ils auraient pu faire un effort sur les costumes. (Ceci dit, c'était le style <-- portrait controversé de J. A.) Les mecs sont déjà plus réussis, tous plus ou moins déguisés en Napoléon avec les cheveux qui reviennent sur le front. Et son cheval aussi d'ailleurs...

(Hihi, mes commentaires sont vraiment pertinents, c'est ça qui est bien... Et mes links deviennent n'importe quoi... Mais un jour, j'apprendrai à faire des critiques de films, je vous promets...)

Bon, après, il y a toute la polémique sur le fait que Jane Austen avait en réalité une vie désespérement plate et ennuyeuse et qu'ils ont adapté sa biographie à la "Jane Austen style", justement. Elle ressemble maintenant à ses héroïnes alors que ce n'était pas du tout le cas. Mais d'une part, si elle avait vécu comme ses héroïnes, elle n'aurait jamais eu le temps d'écrire tous ses romans, donc tant mieux pour nous qu'elle ait été malheureuse (désolée, hein, mais bon c'est comme ça).
Et d'autre part, ce film lui donne la vie palpitante (mouaif, enfin palpitante.... n'exagérons rien) qu'elle aurait rêvé avoir... c'est quand même gentil, non ?

Bref, laissons la polémique de coté. Pour moi : un film à la fois plaisant et très joliment fait. La photographie est belle, les cadrages sont harmonieux, parfois originaux.
Toujours est-il que ça m'a donné envie de me replonger dans l'univers de Jane Austen, et Ô joie, je viens de trouver dans ma bibliothèque Emma, que je n'ai pas lu...

samedi 27 octobre 2007

Oncle Vania

"Il fait un temps à se pendre avec plaisir"

Oncle Vania
Anton Tchekhov
Traduction André Markowicz et Françoise Morvan
Actes Sud, Coll. Babel, 1994
144 p.




















Je viens de lire les derniers mots de cette pièce de théâtre, et je reste un tout petit peu perplexe... C'est bien écrit, évidemment, mais je ne suis pas sûre d'avoir vraiment aimé.

Bon, déjà, c'est du Russe, il y a donc le style qui va avec. Des sentiments démesurés à chaque page, de la jalousie, de la haine, du mépris, de l'adoration, de la trahison, de l'amour désespéré et destructeur, en veux-tu en voilà.
Les personnages ont l'air presque tous au bord de la folie. Sauf le personnage de Sonia, très touchant. On lui propose la vérité plutôt que l'incertitude, mais elle refuse, puisque pour elle, "l'incertitude, c'est mieux... Il reste quand même l'espoir..."

Il y a même un petit côté Huis Clos avec tous ces personnages qui se retrouvent ensemble dans une ferme au milieu de la campagne russe. Eléna passe son temps à dire qu'elle veut s'en aller, mais elle passe aussi son temps à ne pas bouger de là où elle est. Les divers ressentiments s'aiguisent et s'exacerbent jusqu'à la fin de l'acte III, très surprenant : Vania tire à deux reprises sur [hé oh, vous croyiez vraiment que j'allais vous le dire ?], le rate à deux reprises, puis s'écrie "raté ? Encore manqué ?" et il s'assoit sur une chaise (avec le gars toujours en face de lui). Tout le monde s'exclame, personne ne bouge d'un poil et le rideau tombe.
Le rideau se relève sur l'acte IV, mais personne ne semble avoir l'idée de faire quoi que ce soit ou de commenter l'incident, et on passe à autre chose. C'est du Russe, quoi. Et Vania de commenter pensivement : "Etrange. J'ai fait une tentative de meurtre et personne ne m'arrête. Donc on me prend pour un fou."
Je sais pas si vous vous faites une idée de l'ambiance...

En parlant de "fou", ça me fait penser que dans le texte, au lieu de "fou", ils disent souvent "toqué". OR... je ne sais pas par quel chemin détourné de mon cerveau passe ce mot, mais ça fait toujours *tilt* avec Alice au Pays des Merveilles ! Vous savez, le Chapelier Toqué qui renverse du thé partout en fêtant son non-anniversaire avec son copain ? En plein Tchekhov, tout de suite, ça fait pas très sérieux.
Quoi que, en y réfléchissant, il y a quand même un côté russe chez Alice au pays des Merveilles.... hum....
La folie, la psychanalyse, les Russes, allez hop, tout ça dans le même panier.
Non mais sérieusement, je me demande pourquoi le traducteur a choisi ce mot... Surtout que le traducteur c'est André Markowicz, aka THE traducteur des Russes en général, et de Dostoïevski en particulier... (Si vous lisez Dostoïevski, il faut absolument prendre ses traductions en édition Babel. J'ai lu il y a pas longtemps sa préface de L'Idiot où il parle de la musique de la langue, du souffle de la respiration, de l'oralité de l'écriture... c'est à la fois sublime et très intelligent. Un génie de la traduction.)
Car traduire, ce n'est pas trahir, c'est interpréter !

Sur ce, revenons à nos moutons toqués.
En réalité, j'ai dit au début que je n'étais pas sûre d'avoir aimé, mais plus j'y pense, plus j'en parle, et plus je me rends compte à quel point c'est bien écrit... du coup j'aime maintenant ! quelle manipulation, dites donc !
Il y a quelques passages d'envolées lyriques de la part de Vania (qui s'appelle en réalité Voïnitski... oui les Russes ont toujours plein de noms différents, c'est comme ça) ou même du médecin Astrov (sur la forêt), qui sont d'une grande poésie.

Et puis, encore une fois, coup de coeur, pour la très émouvante tirade finale de Sonia. "Nous nous reposerons !"

Bon, je vais m'arrêter là, sinon on va encore râler et me dire que mes posts sont trop longs...
Ah jvous jure...

Et puis aussi, il y en a marre des livres, la prochaine fois je ferai une critique de film, tiens.
(Je dis pas que je sais faire, mais on va essayer...)



"VOÏNITSKI - La pluie va passer tout de suite, tout dans la nature sera rafraîchi et soupirera de soulagement. Moi seul, je ne serai pas rafraîchi par l'orage. Jour et nuit, elle vient m'étouffer, comme un de nos démons du foyer, cette idée que ma vie est perdue sans retour. Le passé n'existe plus, il a été bêtement gaspillé en vétilles, et le présent est monstrueux d'absurdité. Voilà ma vie et mon amour ; où les fourrer, que faire avec ? Ce que j'éprouve se perd pour rien, comme un rayon de soleil qui tomberait dans un trou, et moi aussi, je me perds."

mercredi 24 octobre 2007

Le vieux qui lisait des romans d'amour

Gondoles et pirogues

Le vieux qui lisait des romans d'amour

En ces derniers jours d'octobre, où le orange et le noir me sautent dessus à chaque fois que je passe devant une vitrine, je me suis plongée dans le vert couleur forêt amazonienne.

Et quand je dis plongée, c'est plongée ! Là, plus de problème de boules quiès dans le métro (pour ceux qui ne suivent pas, renseignez-vous). Ouvrir le livre, c'était retrouver immédiatement cette atmosphère d'humidité et de moiteur, presque de corps-à-corps entre l'homme et la végétation toute-puissante, vivante et menaçante. Atmosphère qui m'a un peu rappelé Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez.

"Le ciel était une panse d'âne gonflée qui pendait très bas, menaçante, au-dessus des têtes."
Je trouve cette première phrase incroyable. Pas vous ? Et je sais pas trop expliquer pourquoi... Il y a quelque chose qui passe, on ressent tout de suite ce que ça veut dire. Ça pose l'ambiance, là, d'un coup.
Ce livre a quelque chose d'assez rare : une excellente première page. Au bout de 2 secondes, ça y est, on est dedans, on a envie de savoir où on est, qu'est-ce qu'il se passe, pourquoi ils sont là, et qu'est-ce qu'ils vont faire.

En réalité, on s'aperçoit très vite qu'on est dans un véritable roman policier. Antonio José Bolivar, c'est le Sherlock Holmes de la forêt, et il est impressionnant. Faut dire, je suis pas très douée en dépistage de traces de jaguar dans la jungle (je ne sais même pas différencier des crottes de renard de crottes de lapin, c'est vous dire !) mais même si je n'y connais rien, je vois que là, ça vole haut. Même que les scouts aussi, et ben ils seraient impressionnés. Antonio José Bolivar, il est trop fort.

Antonio José Bolivar, c'est "le vieux". Les personnages, au fur et à mesure de la tension qui monte, perdent leurs noms. Il y a "le vieux", "le gros", "le gringo", et bien sûr "la bête". Comme pour effacer la différence entre eux et elle.
(Sauf sa femme Dolores Encarnaciòn del Santìsimo Sacramento Estupinàn Otavalo, qui, elle, restera Dolores Encarnaciòn del Santìsimo Sacramento Estupinàn Otavalo, jusqu'à la fin).
Et "le vieux", qui est à la base quand même un peu péjoratif (quand même, hein ? non ? si, quand même...), se charge petit à petit de tout le respect possible.

Maintenant, place au coup de gueule.
Je vous le dit tout de go, il y a un personnage qui m'a énervée, mais alors énervée celui-là !! C'est le Maire !! Je me crispais sur mon livre à chaque fois que je sentais qu'il allait faire ou dire une connerie (ou les deux en même temps, parce qu'il est très fort, l'imbécile !) Si j'avais pu, je te vous me l'aurais envoyé bouler tête la première dans la gadoue aux scorpions, enduit de cire d'hévéa et donner à bouffer aux fourmis rouges, moi !
Je sais bien que ce n'est qu'un personnage, mais c'est pas une raison pour m'énerver !!

Fiouf, ça va mieux.

Bon, vous l'aurez remarqué, c'était en fait un faux coup de gueule, parce que réussir à créer une telle réaction sur le lecteur (ouioui, "le lecteur" c'est moi), même si cette réaction est négative, c'est fort.

Et puis pour finir, un petit coup de coeur, vrai de vrai, cette fois : pour les dernières pages du livres, écrites à la 2e personne du singulier ("tu", en clair). Très efficace.

Au final, un joli moment d'évasion dans cet octobre un tout petit peu trop froid à mon goût...


"Le roman commençait bien.
"Paul lui donna un baiser ardent pendant que le gondolier complice des aventures de son ami faisait semblant de regarder ailleurs et que la gondole, garnie de coussins moelleux, glissait paisiblement sur les canaux vénitiens."
Il lut la phrase à voix haute et plusieurs fois.
- Qu'est-ce que ça peut bien être, des gondoles ?
Ça glissait sur des canaux. Il devait s'agir de barques ou de pirogues. Quant à Paul, il était clair que ce n'était pas un individu recommandable, puisqu'il donnait un "baiser ardent" à la jeune fille en présence d'un ami, complice de surcroît.
Ce début lui plaisait.
Il était reconnaissant à l'auteur de désigner les méchants dès le départ. De cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées.
Restait le baiser - quoi déjà ? - "ardent". Comment est-ce qu'on pouvait faire ça ?"

lundi 22 octobre 2007

Les Souffrances du Jeune Werther 2 (le retour)

Bon, je mets une autre couv d'une autre édition (pour pas qu'on croie que j'ai des actions chez Gallimard), mais c'est le même livre hein ? On est d'accord, Goethe n'a pas écrit de Werther 2. Vu le succès que ça a eu, il aurait peut-être dû, d'ailleurs. Mais bon, les conseillers marketing n'étant pas à l'époque ce qu'ils sont aujourd'hui, on ne peut pas le lui reprocher. D'ailleurs, quand j'y pense, il aurait eu des petits problèmes techniques pour continuer l'histoire... (J'en dis pas plus parce qu'il faut préserver le suspens ! Ben quoi, il y en a peut-être qui ne connaissent pas la fin ? Oui, je suis naïve si je veux.)

Bref, j'écris surtout pour vous faire part de quelque chose : c'est que je ne pensais pas avoir autant raison dans mon post précédent ! en disant que le contexte de lecture influençait beaucoup la lecture elle-même.

Bon, on va me dire que c'est un truc que tout le monde a découvert depuis belle lurette, mais moi je pensais que quand un livre était émouvant, il était émouvant dans toutes les circonstances, ou que quand un livre était drôle, il était drôle tout le temps.

Et bien j'ai relu Werther toute seule dans le calme de mon petit chez-moi, et je vous assure, ça a été très différent. C'est décidément magnifique, mais cette fois, ça m'a émue. Vraiment émue, jusqu'à en avoir les larmes aux yeux.
Un des passages que je trouve les plus beaux, c'est vers la fin, quand Werther lit à Charlotte la traduction qu'il a faite d'un texte épique. C'est du tragique dans le tragique, c'est grand, c'est noble, c'est fort, c'est sublime.

La première fois que je l'avais lu, j'avais vu que c'était touchant mais ça ne m'avait pas touchée. Et c'est là toute la différence.

La deuxième lecture de ce livre, c'est de toute façon une autre lecture. Encore une évidence, diront certains, mais ceux-là savent aussi que c'est quand on s'en rend compte par soi-même qu'on le comprend vraiment.
Et là, lire une deuxième fois le récit de la déchéance aussi implacable qu'inéluctable d'un homme dont le seul tort est d'aimer, ça ajoute encore au tragique : on sait ce qui l'attend, on sait où il va, on sait où va l'entraîner son tempérament.
En relisant les premières pages, je n'ai pas pu m'empêcher de me dire "ah oui, tiens ! Il est heureux au début, c'est vrai !"

De Werther on retient avant tout la fin.

Voilà, c'était un petit réajustement que je me devais de faire. Pauvre Goethe, s'il lisait ce que j'écris sur lui...


"13 juillet

Non, je ne me trompe pas ! je lis dans ses yeux noirs le sincère intérêt qu'elle prend à moi et à mon sort. Oui, je sens, et là-dessus je puis m'en rapporter à mon coeur, je sens qu'elle... Oh ! l'oserai-je ? oserai-je prononcer ce mot qui vaut le ciel ?... Elle m'aime !
Elle m'aime ! Combien je me deviens cher à moi-même, combien... j'ose te le dire à toi, tu m'entendras... combien je m'adore depuis qu'elle m'aime !"

"14 décembre

Qu'est-ce mon ami ? Je suis effrayé de moi-même. L'amour que j'ai pour elle n'est-il pas l'amour le plus saint, le plus pur, le plus fraternel ? [...] Charlotte ! Charlotte !... C'est fait de moi !... mes sens se troublent. Depuis huit jours je ne pense plus. Mes yeux sont remplis de larmes. Je ne suis bien nulle part, et je suis bien partout... je ne souhaite rien, ne désire rien. Il vaudrait mieux pour moi que je partisse."

vendredi 19 octobre 2007

Les Souffrances du Jeune Werther


"Elle m'aime !"

Les Souffrances du Jeune Werther
Johann Wolfgang Von Goethe
traduction Bernard Groethuysen
Gallimard, coll. Folio, 1973
192 p.


Il y a quelques jours, quand je lui en ai parlé, un ami m'a dit que j'étais trop vieille pour lire ça. Sur le coup, je me suis dit que c'était bizarre comme réflexion, qu'un livre valait le coup d'être lu à n'importe quel âge. Et puis j'ai compris ce qu'il a voulu dire.

Les Souffrances du Jeune Werther, c'est typiquement le genre de livre qu'il faut lire à l'adolescence, à l'âge où une foule de sentiments nouveaux nous tombent dessus, nous occupent, nous envahissent, nous déboussolent. A l'âge où l'idée de se suicider par amour n'est ni inconcevable, ni ridicule. A l'âge où l'on est inconsolable lorsqu'on a perdu celui ou celle qu'on croyait aimer. "Mais oublie-le, oublie-la, tu as toute la vie devant toi !" Oui, mais justement ! C'est toute cette vie devant soi, sans lui, sans elle, qui fait peur et qu'on a envie d'effacer.
La légende dit que lors de la sortie du livre (1774) qui a été un succès, il y a eu une vague de suicides inexpliqués...

Bon après, je ne sais pas si tous les adolescents passent par cette phase-là, mais Werther, en tout cas, il est comme ça. Passionné, sensible, déchiré, lyrique, extrême (de n'importe quel sentiment, mais extrême). Un artiste et un poète de la plus pure tradition romantique. Il ne fait rien de sa vie, il se promène dans la nature, voyage de ville en ville, et fait des descriptions aussi inspirées que passionnées d'une "douce matinée de printemps", ou bien du paysage qu'il a devant lui, et qui est toujours une vallée, parce que lui est toujours en haut d'une montagne (et oui... quand je dis romantique, c'est romantique !) Pour ceux pour qui ça ne fait pas *tilt*, jetez un coup d'oeil à ce tableau ou ce tableau de Friedrich.
Archétype du romantisme allemand, le Sturm and Drang dans toute sa splendeur.
C'est beau non ?

Oui c'est beau, mais justement, du beau comme ça, ça ne se lit pas dans le métro. Or non seulement j'étais trop vieille, mais en plus je l'ai lu dans le métro. Et croyez-moi, quand mes yeux lisent du Goethe en même temps que mes oreilles entendent du ça :
"- tu m'étonnes c'est une bouffonne c'te meuf
- crari, elle a voulu s'le tapper, si j'la vois j'la butte
- vas-y...."
etc..., je vous épargne la suite du dialogue, mais vous avez compris que ça crée une sorte de... DECALAGE. J'ai donné cet exemple, mais ça a aussi été 2 mamans qui se vantent mutuellement les progrès phé-no-mé-naux de leurs rejetons respectifs (sans s'écouter l'une l'autre) ou un jeune cadre surdynamique qui hurle à son téléphone que "les délais c'est les délais bordel, tu te démerdes il me la faut demain cette étude de marché !!", l'effet est le même. Donc à moins d'avoir une puissance d'immersion dans le bouquin extranormale, ou des boules quies (mais bon dans le métro... voilà quoi), c'est difficile de vraiment rentrer dedans s'il y a des gens qui nous embêtent autour...
Alors conseil : si jamais vous voulez le lire, faites-vous un petit cocon tout seul quelque part, je suis sûre que ça sera beaucoup mieux. Pour lire ça, faut ouvrir les chakras, comme dirait l'autre...

Malgré tout, j'ai quand même beaucoup aimé ! Les histoires d'amour c'est toujours bien... et les histoires d'amour malheureux c'est toujours beau. C'est idiot, hein ? ça devrait être le contraire. Mais non, c'est souvent de la souffrance que ressort la beauté. D'ailleurs, Werther le dit à un moment dans une de ses lettres : il se plaint d'être trop heureux et que ça nuit à son talent (maso ? vous avez dit maso ? meuh non, artiste, tout simplement...)
Mais pas de panique, il ne reste pas longtemps heureux... ce n'est pas son destin, et puis ce n'est pas comme ça que ça marche.

Et puis alors comme il est triste et qu'il n'a rien à faire (ce qui est la pire chose, quand on est triste), il décide d'avoir quelque chose à faire. Et là, comme ça se faisait à l'époque (pour les riches, hein on est bien d'accord), en trois coups de cuiller à pot le voilà diplomate attaché à l'Ambassadeur. Et comment il le raconte, ça a l'air très facile. J'aimerais bien moi, pouvoir me dire "bon je m'ennuie un peu, et si j'étais diplomate à partir de demain ?"
Mais aujourd'hui, on dirait que c'est pas comme ça que ça marche... (quoi que... on serait peut-être surpris si on regardait vraiment le parcours de nos diplomates...)
Mais bref la question n'est pas là.

La question est en fait une réponse : Oui, ce livre est magnifique, très bien écrit, c'est un des textes fondateurs du romantisme, et il vaut la peine d'être lu à mon âge et à n'importe quel âge !

"Werther. Je me souviens de l'avoir lu et relu dans ma première jeunesse pendant l'hiver, dans les âpres montagnes de mon pays, et les impressions que ces lectures ont faites sur moi ne se sont jamais ni effacées ni refroidies. La mélancolie des grandes passions s'est inoculée en moi par ce livre. J'ai touché avec lui au fond de l'abîme humain... Il faut avoir dix âmes pour s'emparer ainsi de celle de tout un siècle."
Lamartine.

Bon ok, Lamartine, il en parle vachement mieux que moi, et en plus, lui il a vraiment senti tout ce qu'il y avait à sentir. Mais forcément, il prenait pas le métro, lui ! Il prenait la montagne.
Tiens, ça me donne envie de le relire pour m'y plonger pour de vrai. Et oh miracle ! J'ai justement toute la nuit devant moi et pas besoin de me lever demain ! :)

lundi 15 octobre 2007

L'Elégance du Hérisson


"L'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme"

L'Elégance du Hérisson
Muriel Barbery
Gallimard, coll. Blanche, 2006
359 p.

Je viens de finir ça, et bon, honnêtement.... c'est mignon mais ça casse pas des briques. On me l'avait mis dans les mains en me disant "Lis ça, c'est gééééniââââl !", et je sais que tout le monde en parle en ce moment, mais je comprends pas trop. Ou plutôt si, je comprends. Pour moi c'est un mix entre Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder, et Ensemble c'est tout d'Anna Gavalda, avec un soupçon d'Amélie Poulain pour relever le tout. Une bonne recette, quoi.

Alors d'un côté, il y a des passages joliment écrits, émouvants même parfois.
Et de l'autre, il y a quand même pas mal de petits trucs agaçants. On a l'impression que l'auteur s'est dit "allez hop, on va faire comme ça, ça marche bien ça."

Tout d'abord, il y a le thème des gens super intelligents à l'intérieur mais dont personne ne s'aperçoit à l'extérieur. Ça, en général, ça marche. Peut-être parce que le lecteur croit être lui-même un super-intelligent méconnu de tous ? Du coup ça facilite l'identification au personnage ? (simple hypothèse personnelle, peut-être que je suis la seule à croire ça, après tout... hihi)
Sauf que là, pardon mais c'est un tout petit peu trop...
Il y a la petite fille de 12 ans, qui fait très attention de ne pas montrer son intelligence, et se rabaisse à n'être "que" la première de la classe sans dépasser la seconde de trop loin... Motif invoqué : pour qu'on la laisse tranquille. A la limite, soit.
Mais il y a surtout la concierge moche et idiote qui se révèle en fait avoir le niveau intellectuel d'une agrégée de philo, et qui fait tout pour que personne ne s'en aperçoive. C'est déjà beaucoup moins crédible, et puis surtout : pourquoi ? Pourquoi se tracasser à laisser résonner sa télé toute la journée pour faire croire qu'on végète devant alors qu'en réalité, on dévore La Phénoménologie de l'Esprit ? Pourquoi se forcer à faire des phrases grammaticalement incorrectes alors qu'on est extra-sensible à la linguistique ?
Ça, ça a été mon premier agacement.

Deuxième agacement, dans le même style : la vision du clivage pauvres/riches. Les pauvres sont extrêmement sensibles à l'intérieur d'eux-mêmes à toutes les petites choses de la vie ; les riches sont engoncés dans leurs (bonnes ?) manières et sont tout secs à l'intérieur. Avec évidemment quelques enfants-exceptions pour faire bonne figure (et pour ne pas faire totalement "les riches, tous des cons") : Paloma, Olympe ou Jean.
D'un côté, Manuela la femme de ménage portugaise est une "aristocrate du coeur", de l'autre, le riche et célèbre critique gastronomique de l'immeuble est un "despote brutal, assoiffé de gloire et d'honneurs". Vous ne trouvez pas ça un petit peu trop.... tout-noir-tout-blanc ?
En cherchant à éviter le politiquement correct, Barbery y retombe en plein dedans.

Autre agacement, mais beaucoup plus personnel, celui-là : je n'aime pas du tout sa façon d'écrire les dialogues ! En gros, très souvent, ça fait : tiret, réplique du personnage, puis on repasse au mode récit avant d'avoir le 2e tiret et la réponse de l'autre personnage. Je trouve que ça casse totalement le rythme, et bien souvent, je ne peux empêcher mes yeux de sauter tous seuls d'un tiret à un autre, histoire d'avoir le dialogue sans coupure, ce qui m'oblige ensuite à remonter mes yeux en haut à gauche de la page pour tout relire, avec les commentaires d'entre-dialogue, cette fois...
(Et je ne parle même pas de ma mère qui, elle, a lu le livre en deux fois : d'abord l'histoire "Paloma" puis l'histoire "Renée" parce que ça l'énervait d'être coupée en plein élan à chaque chapitre. C'est peut-être un truc de famille, alors...)

Je reconnais qu'il y a une certaine joliesse d'écriture, et certains passages aboutissent de manière efficace à des formulations lapidaires et originales que Muriel Barbery semble affectionner. Mais là encore, j'ai l'impression de retrouver le même schéma à chaque fois. Une réflexion plus ou moins philosophique est exposée dans un chapitre qui finit par une phrase-choc.
"L'Art, c'est la vie, mais sur un autre rythme.", "L'Art, c'est l'émotion sans le désir.", "C'est peut-être ça, être vivant: traquer des instants qui meurent.", "Le Futur, ça sert à construire le présent.", "L'Eternité, cet invisible que nous regardons." (pour n'en citer que quelques-unes, mais vous verrez il y en a plein).
C'est joli, me direz-vous ! Oui, c'est joli, et c'est même très poétique. Simplement, selon une expression fétiche de mon père : ça vire au procédé. L'écriture devient mécanique.

Et puis il y a autre chose aussi. Muriel Barbery a choisi de croiser deux personnages, et donc deux récits. Jusque-là tout va bien. Il y a donc alternance des chapitres (ou à peu près), avec changement typographique qui va avec, ce qui est d'ailleurs une bonne idée. Tout va bien aussi. Mais là où la chose se corse, c'est qu'en suivant ce procédé de coupure/reprise, il fallait trouver un moyen de garder le suspens entre la fin d'un chapitre "Renée" par exemple, et le début du chapitre "Renée" suivant (c'est-à-dire, 2 ou 3 chapitres plus loin... vous suivez ?).
Et alors là, une fois que le moyen a été trouvé, il n'a plus été lâché. Exemples de plusieurs débuts/fins de chapitres, pour que vous compreniez : "Chabrot sonne à ma loge" (p.82), "on frappe doucement à la porte de ma loge" (p.90), "quelqu'un sonne à la loge." (p.116), "on sonne à ma loge." (p.173), "Puis, vers dix heures, on sonne à ma porte." (p.185), "... et on frappe à la porte." (p.201), "On frappe deux petits coups brefs à la porte." (p.288), "... et je ferme ma porte." (p.85) (ah, variante audacieuse !)

Vous voyez ce que je veux dire ? Je comprends que ce soit une transition pratique, mais quand même !
Et tant qu'on est dans les énumérations, je vous donne une autre phrase qui m'énerve particulièrement, que j'ai retrouvée souvent, et qui est pour moi un artifice fallacieux de "créateur de suspens" : "C'est alors que la chose se produit." (p.79), "C'est alors que la catastrophe se produit." (p.230), "C'est alors que la chose advient." (p.238), "Et puis ça arrive." (p.344), "Et puis il s'est passé quelque chose." (p.355) etc...

Bon je vais m'arrêter là pour ce soir. Je tiens à souligner quand même que mises à part ces petites choses agaçantes, la lecture du Hérisson (c'est comme ça qu'il faut dire pour faire In... genre "t'as pas lu le Hérisson toi ?") est agréable. Ça se lit vite et ça se lit bien.
Mais étant donné tous ces gens qui ont A-DO-RE, je me devais d'étayer mon point de vue quelque peu moins enthousiaste...

Et puis j'en connais certains qui diront que c'est la déformation professionnelle des étudiants de Lettres qui ne peuvent plus lire un livre sans l'analyser et le décortiquer ! Et bien je crie haut et fort que "Faux et archi-faux !" Il y a beaucoup de livres que je lis sans même réfléchir à ce que je lis, et dans lesquels je me plonge toute entière sans l'ombre d'une distanciation critique !

Et heureusement !


"Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants.

Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comme est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai."

mercredi 10 octobre 2007

Huis Clos

"L'enfer, c'est les autres"

Huis Clos
Jean-Paul Sartre
Théâtre des Abbesses
Mise en scène : Michel Raskine
Avec : Christian Drillaud, Cécile Bournay, Marief Guittier, Guillaume Bailliart


Avez-vous déjà essayé d'aller au théâtre un soir de coupe du monde de rugby ? Avec, disons euh... je ne sais pas moi, un match entre les Français et les All Blacks ? Hum ? non ? Et bien j'ai testé pour vous. Et figurez-vous que c'est assez surprenant.
Les cris que l'on entend de l'extérieur pendant la pièce, au fur et à mesure des essais réussis, perdus, métamorphosés, transformés (transformés en quoi, je vous le demande ?), au lieu de nous rappeler à la réalité du monde réel en nous faisant perdre le fil de la réalité théâtrale qui est en fait fiction, nous place dans un entre-deux irréel, ni fiction ni réalité, nous empêchant de rejoindre d'un côté la réalité de l'extérieur, et de l'autre, la fausse réalité du théâtre.
D'où : irréalité.
Vous voyez ce que je veux dire ?
Mais heureusement cela ne dure que le temps que la rumeur des cris s'évapore, et l'on peut alors se replonger dans la fiction théâtrale, qui est à ce moment-là, la vraie réalité.

Et comme je fais les choses bien, je suis allée dans ce théâtre situé en plein Montmartre, cerné par des bars équipés chacun de 3 écrans géants et dégorgeant leur clientèle sur les trottoirs et les voitures garées là. (Avis aux riverains : ne jamais garer sa voiture en face d'un bar diffusant la coupe du monde de rugby. Sauf si on veut offrir un lavage à base de bière à ladite voiture.) Mais je m'égare.

Huis Clos, donc, au Théâtre des Abbesses.
Deux cas de figures pour cette pièce que j’aime beaucoup : soit on l’a déjà lue/vue, et on sait dès le départ où l’on se trouve. Soit on ne l’a jamais ni lue ni vue, et l’on va mettre une bonne moitié de la pièce à comprendre (mais pas d'inquiétude pour votre santé intellectuelle, c'est pareil pour tout le monde).
Détail, me direz-vous.
Pas du tout, vous répondrai-je.
J’avais d’ailleurs à côté de moi une personne qui ne l’avait jamais vue, et je m’amusais des questions chuchotées : « Mais ils sont où ? Pourquoi il n’y a pas de décor ? C’est quoi ce bruit ? Et pourquoi ils ont chaud ? »
Je n’en dirai donc pas plus sur ce sujet. Lisez, et vous saurez.

Sur cette mise en scène de l’œuvre, je reste d'ailleurs un peu déçue. Le jeu des trois personnages ne correspondait pas du tout avec l’idée que je m’en étais faite en lisant le texte.
Garcin s’énervait là où je l’aurais vu calme, et inversement. L’acteur a construit un personnage un peu trop effacé, un peu trop dépassé par ce qui lui arrive, alors qu’il devrait être le leader du trio : c’est le premier à entrer sur scène, c’est le dernier à parler, c’est lui qui donne les directives, qui essaye diverses solutions (se taire et rester chacun dans son coin etc.)
Inès était ensuite beaucoup trop vieille, trop maigre, trop androgyne : elle ne correspond pas du tout à l’image d’Inès, qui est pour moi une femme très féminine justement, jeune, d’une beauté dangereuse, manipulatrice, dominatrice, castratrice. Le côté homosexuel du personnage était beaucoup trop appuyé. Inès est homosexuelle certes, mais elle cherche avant tout à dominer Garcin en dominant Estelle : c’est l’homme sa véritable proie, c’est sur lui qu’elle cherche à asseoir sa supériorité.
Estelle, enfin, était beaucoup trop mijaurée, et trop drôle. Estelle ne doit pas être drôle. Elle est légère, mais elle est sombre : elle n’arrive pas à porter le poids de son crime, un des pires qui puissent exister. Elle le cache, le renie, alors que les deux autres avouent les leurs spontanément. Elle séduit, cherche à s’attacher à tout prix (à Inès, à Garcin), mais c’est par désespoir.
En réalité, j’aurais vu tout ça beaucoup plus sérieux,  sombre, et tragique. Ça doit être mon côté « tragédie classique » qui ressort. Je trouve qu’il n’y a rien de plus beau et de plus profond qu’une tragédie où les hommes courent irrémédiablement à leur perte sans le voir ni le savoir.

Autre chose qui m'a gênée : les répliques étaient beaucoup trop enchaînées entre les acteurs. L'un répond à la seconde où l'autre finit de parler, et ça donne une impression de... théâtre justement. Dans la vraie vie, personne ne parle comme ça, parce qu'il faut écouter jusqu'à bout ce que l'autre dit, avant de pouvoir répondre (enfin certains ne le font pas, mais justement ils écoutent pas, donc je les compte pas). Tout ça donne une impression de "joué" et c'est un peu dommage...

Et puis détail très mystérieux : une statue du Christ mains liées et tête baissée qui reste en plein milieu de la scène du début à la fin. J'avoue que je ne vois pas d'explication à la chose...
Ou alors il faut donner dans le genre "le Christ n'abandonne jamais les pêcheurs, la rédemption est toujours possible etc." mais vu le contexte ça me semble un peu tiré par les cheveux.
Si quelqu'un a une interprétation plus logique...

Par contre le reste du décor était bien en adéquation avec l’esprit de la pièce : c’est-à-dire qu’il n’y en avait pas. On voyait le plateau entièrement, les rideaux des coulisses avaient été retirés, laissant visibles les cordes et les fils de la régie lumière, les chaises entassées sur le côté, et tout le reste.
Puis, au fur et à mesure, le plateau était de plus en plus encombré de bazar, d’objets de toutes sortes… Les acteurs étaient de plus en plus déshabillés, de plus en plus violents (scène de torture d'Estelle par les 2 autres, que j'aurais vue beaucoup plus psychologique que physique), de plus en plus essoufflés, rouges, transpirants.
Le crescendo de l'absurde a très bien été rendu de ce côté-là, jusqu'au "Continuons" final, qui traduit pour moi le sentiment d'impuissance par excellence.

Donc voilà. Bilan mitigé, certaines choses à retenir, d'autres non.
Et puis faut dire qu'en sortant on a plongé direct dans l'euphorie du bar d'à côté parce qu'on était à -15 minutes de la fin du match..., et qu'on a ensuite enchaîné sur la Nuit Blanche.

Somme toute, Huis Clos n'a pas été le moment le plus fort de cette soirée bien remplie...

mardi 9 octobre 2007

L'Acte Inconnu

"La parole portant une planche"

L'Acte Inconnu
Valère Novarina
Théâtre de la Colline
Mise en scène et peinture ;/span>: Valère Novarina
Avec : Manuel Lelièvre, Claude Merlin, Dominique Pinon, Agnès Sourdillon, Véronique Vella.


En sortant de la salle, j'avais presque le tournis. Tellement de pensées, de noms, de mots, connus et inconnus, réels et imaginaires, drôles, sombres, délirants, profonds.
La parole coule, sans aucun obstacle, aucun barrage. On sent que certaines phrases sont riches, lourdes de sens, on aurait presque envie de crier "Pause !" pour avoir le temps de tout comprendre, mais on ne peut pas, la suite arrive, la suite est là, les mots se suivent, ne se ressemblent pas et se ressemblent tout de même.
C'est comme, vous savez, dans certains cours où le prof est génial mais parle trop vite : chaque mot est une révélation, mais on n'a qu'une main et qu'un stylo pour essayer de prendre en notes tout ce qu'on peut. Et on arrive à la fin du cours ravi mais épuisé (et mal à la main). Et bien en sortant de L'Acte Inconnu, j'avais un peu la même impression...

Je crois que je vais acheter le texte de la pièce, et en relisant je vais m'apercevoir de tout ce que je n'ai pas compris sur le coup...

Sous nos yeux, une parodie de l'Histoire de l'Humanité, avec un nombre incroyable de peuples imaginaires de régions imaginaires [edit : après vérification, tous ces peuples ont bel et bien existé, mais seuls les ethnographes en ont déjà entendu parler], qui ont chacun des religions, des coutumes, des rites aussi drôles qu'absurdes. A la sonorité des noms, à la façon dont c'est raconté, on pense forcément aux récits bibliques des débuts de l'Humanité.
Mais il n'y a pas que ça. L'Acte Inconnu n'est pas un récit, mais une multiplication de tableaux, de scènes, de monologues, de duos, d' "actes" dans tous les sens du terme. En filigrane, on perçoit une grande réflexion sur l'acteur, et sur l'acte de jouer.
Après moult gesticulations et virevoltements aussi bien physiques que linguistiques, les 12 acteurs se retrouvent assis à une table en une imitation symbolique de la Cène, jusqu'à la dernière réplique, qui est d'or, et vaut à elle seule le prix de la place...

Rien que pour vous donner une idée de l'esprit du truc, je vous donne les noms des personnages : Le Bonhomme Nihil, La Bonhomme Multiple, Irma Grammatica, Raymond de la Matière, L'Ouvrier du Drame, La Machine à dire beaucoup, Le Chantre, La Dame de pique, Le Valet de carreau, Les Antipersonnes, Le Déséquilibriste, L'Accordéon Souffleur, et onze fois Autrui (j'aime particulièrement ce nom de personnage... Autrui).

Mention spéciale à Dominique Pinon (celui qui joue dans Amélie Poulain le jaloux qui claque des bulles sous la table), très drôle.
Il y a aussi une scène incroyable, une scène d'anthologie, dont tous ceux qui l'ont vue se souviendront : la scène de l'opéra allemand, parodié par un acteur qui joue à lui seul la femme adultère, l'amant qui grimpe à l'échelle, le mari jaloux qui cherche sous le lit, la bonne paniquée, et même le chien qui s'en mêle. Tout ça en chantant dans un allemand de pacotille (et donc incompréhensible). J'ai ri pendant 10 minutes non-stop, et je n'étais pas la seule : toute la salle était hilare. Fabuleux numéro de mime ! (petite pensée au passage pour le mime Marceau, qui faisait des choses d'un grande poésie, et qui nous a quitté il y a quelques jours...)

Bref, allez voir cette pièce, elle ne reste pas longtemps à la Colline ! Et dites-moi ce que vous en avez pensé.


Lolita

"Lolita, mon péché, mon âme"

Lolita
Vladimir Nabokov
(traduction Maurice Couturier)
Gallimard, coll. Folio, 2001
501 p.


Inauguration de ce blog. J'ai envie de parler de ce roman peu ordinaire que je viens de lire. Bouquin qui m'a intriguée, lu en moins d'une semaine (j'avais le temps, faut dire). Jusqu'à la fin, je me suis demandé si j'aimais beaucoup ou si je détestais.
Rappel : c'est l'histoire de la relation ambiguë, perverse, anormale, et sexuelle, entre un homme de 37 ans et une pré-adolescente de 12 ans.

Je dois vous avouer qu'à certains passages, j'ai eu envie de laisser tomber ce livre, ou plus exactement de le jeter contre le mur en criant que "Ah mais non mais c'est pas possible ! Je ne lirai pas un mot de plus !"
Puis je me suis rappelée que le but de Nabokov était précisément de choquer (ce qu'il a pleinement réussi, donc), et j'ai continué.

Ce qu'il y a de fort avec Nabokov, c'est qu'il met le lecteur à son insu dans la position du voyeur, tout en lui offrant le moyen de se déculpabiliser. Position très malsaine. D'un côté, on se sent presque honteux de continuer à lire. Et de l'autre on ne peut que se distancier du personnage principal, et Nabokov nous y aide : d'abord en présentant son texte comme un document clinique intéressant à analyser ; en gros, les mémoires d'un malade mental. Et surtout en mettant en scène l'auto-condamnation continuelle du pédophile Humbert Humbert : même lui reconnaît qu'il a un problème, et qu'il est condamnable aussi bien moralement que légalement.

On remarque ensuite que, bien que le thème du livre soit aussi sulfureux et polémique, il n'y a absolument aucune scène sexuelle explicite. C'est souvent au détour d'un mot, d'une phrase, que l'on réalise qu'une scène d'amour vient d'avoir lieu, a lieu, aura lieu (ce qui n'en est pas moins dérangeant pour autant).
Le narrateur peut en revanche fantasmer pendant 3 pages, non pas sur les seins ou les fesses de Lolita, mais sur son poignet ou sa cheville, sa façon enfantine de marcher les pieds en dedans, ou une mèche de cheveux... Cela commence par une observation rêveuse de la fillette, qui se transforme toujours chez Humbert en description quasi érotique. Et entre ses phases de désir, le narrateur fait preuve d'une tendresse presque paternelle pour sa "nymphette", ce qui n'augmente pas qu'un peu la complexité du personnage...

Et qu'en pense Lolita ? Et bien, et ce n'est pas le moins dérangeant de toute l'histoire, Lolita s'en accommode plutôt bien. Aucune colère, aucun dégoût, aucun rejet. Et quand ça l'ennuie, elle trouve une technique : elle fait du troc. Elle "prête" son corps, mais elle exige quelque chose en retour. Si elle avait demandé de l'argent, ça aurait été glauque. Mais non, elle demande le droit de s'acheter des bonbons, des vêtements, une poupée, ou la permission de jouer dans la pièce de théâtre de l'école. Qu'un comportement si radicalement immoral et corrompu soit suivi de manière aussi candide, et pour des envies de petite fille, ce n'est plus glauque, c'est désarmant...
Humbert Humbert aura donc été selon elle "un bon papa"...

Et par-dessus tout ça, le style est époustouflant. C'est extrêmement bien écrit, et surtout bien traduit ! Je vous conseille en passant la nouvelle traduction de Maurice Couturier, beaucoup plus fidèle. Certains passages sont magnifiques, plein d'émotion, de sensibilité et d'intelligence. On réalise petit à petit que si Humbert Humbert n'avait pas une vie sexuelle monstrueuse, il serait un être très séduisant, drôle, raffiné et extrêmement cultivé. On sent d'ailleurs pendant tout le livre le thème de l'opposition récurrente (personnifiée ?) entre la vieille Europe raffinée et la jeune Amérique superficielle.

En bref, un roman à la fois profondément dérangeant et merveilleusement écrit. Qui ne laisse certainement pas indifférent...


"Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : Le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita."